« Le judo m’a sauvée » : témoignage de Chloé Buttigieg, policière et judokate de haut niveau

Chloé Buttigieg, sportive de haut niveau
Sandrine Sarfati / police nationale

Chloé Buttigieg, 26 ans, est sportive de haut niveau dans l’équipe police nationale. Pendant son enfance et jusqu’à l’âge adulte, elle a été confrontée aux violences familiales. À l’occasion de la journée mondiale de l’enfance, voici son témoignage poignant. 

Aînée d’une fratrie de trois enfants, Chloé Buttigieg grandit en Charente-Maritime. Sous les apparences d’une famille comme les autres, elle est confrontée dès sa plus tendre enfance avec sa mère, son frère et sa sœur, à la violence de son père. « Ma parenthèse de bonheur, c’était le judo », raconte la jeune femme. Son père l’accompagne sur les compétitions. « Gentil, drôle… C’était le père idéal au bord du tatami. Mais quand nous rentrions et que j’avais perdu, il me tapait. On peut très bien cacher une partie de sa vie ».
 

Insultes, coups… Le père de Chloé s’en prend physiquement et psychologiquement à son épouse ainsi qu’à leurs trois enfants. « Quand j’étais jeune, je pensais que c’était de l’éducation. Mais en grandissant, je me suis rendu compte que ce n’était pas la même chose chez mes copines. Mon père n’avait pas à nous faire subir ça, la violence n’a jamais lieu d’être. On n’a pas à apprendre à un enfant sa leçon de mots invariables à coups de câbles électriques. On ne bat pas sa femme parce qu’elle n’a pas bien cuisiné les pâtes ».


 

« Ma parenthèse de bonheur, c’était le judo »

À 14 ans, Chloé entre en section sport études. « Partir de la maison m’a offert une chance de me construire de mon côté », explique la sportive de haut niveau. « Du lundi au vendredi, je vivais, j’étais moi-même. Je savais que quand j’allais rentrer ça allait être dur car c’était le prix à payer. Mon père ne voulait absolument pas que je parte, il n’avait plus trop d’emprise sur ce que j’allais devenir. Le judo m’a appris à survivre, à encaisser. Je pense que ça m’a sauvé la vie ».

Chloé, sa mère, son frère et sa sœur subissent des années de souffrance physiques et psychologiques. Un phénomène d’emprise qu’il est très difficile à briser. « Ce qui fait qu’on ne s’en sort pas et qu’on a peur de ne pas s’en sortir, c’est le sentiment de honte. Comment va-t-on me regarder si je parle ? Comme quelqu’un de faible ? Je fais un sport de combat, je suis en équipe de France. On va soit me considérer soit comme une victime, soit comme celle qu’on ne va pas croire. Je n’en avais jamais parlé autour de moi. »

« Ça a été la fois de trop »

Le 15 août 2019, Chloé trouve le courage de parler pour mettre un terme aux violences qu’elle et ses proches subissent de la part de son père. Ce jour-là, elle revient d’un stage de judo où elle s’est blessée. Sa petite sœur, âgée de neuf ans à l’époque, réussit à l’informer par message que leur père les a séquestrés avec sa mère et son frère : « S’il te plaît, je t’en supplie fais quelque chose. » Chloé appelle la police «  J’étais sous le coup de l’émotion, c’était compliqué d’expliquer pourquoi c’était moi qui appelais depuis l’Île-de-France alors que je n’étais pas sur les lieux. » La jeune femme se rend alors en commissariat.

« J’ai décidé de porter plainte car c’était la fois de trop. Je ne voulais pas que ma petite sœur grandisse avec cette image de la femme qui ne mérite pas de respect. Comment tout cela allait-il se terminer ? Il n’y avait que deux issues : parler ou mourir », raconte Chloé. « Au commissariat, un policier bienveillant m’a reçue. J’étais sous le coup de l’émotion, assez perturbée, très incohérente au début mais il a su m’écouter, m’amener à dire ce que je n’arrivais pas à dire depuis 21 ans. »
 

La chaîne opérationnelle se met aussitôt en place. Le policier contacte le commissariat dont dépend la commune de résidence des parents de Chloé, deux agents sont envoyés sur place. « Ma mère n’était pas prête à partir ce jour-là. Quand on ne connaît que la violence, on reste longtemps sous emprise. Elle a été battue par mon père alors que j’étais encore dans son ventre. Les policiers l’ont aidée à franchir ce cap. »
 

Les premières semaines sont difficiles pour la mère ainsi que les frères et sœurs de Chloé. « Ma mère a dû se cacher dans un premier temps car mon père les a traqués. » Par la suite, il est interpelé et mis en garde à vue. Une mesure d’éloignement est prononcée. La mère de Chloé reçoit un téléphone grave danger : « C’est un système bien rodé et rassurant. Ce n’est pas un simple téléphone mais un réel soutien qui l’a aidée à quitter l’emprise », explique la judokate.


 

Reconstruction personnelle et vocation professionnelle

Aujourd’hui, Chloé et ses proches se reconstruisent. « Ça a été difficile de briser le silence mais je ne regrette pas un instant de l’avoir fait pour ma mère, pour ma sœur et pour mon frère. On découvre la vie, on apprend à vivre ».

 

Le jour du dépôt de plainte a également été un déclic professionnel pour la jeune femme. « Ce policier a changé ma vie, j’ai eu envie à mon tour de pouvoir rendre la main que l’on m’avait tendue. J'avais le projet de devenir orthophoniste et j'ai alors souhaité devenir policière adjointe. »
 

La judokate de l’équipe police nationale conjugue sa carrière de sportive de haut niveau, avec des objectifs olympiques, tout en évoluant dans la police nationale : l’année dernière, elle a brillamment réussi le concours de gardien de la paix.